LA VERITE SUR "DIX PETITS NEGRES" de Pierre BAYARD aux Editions de Minuit.

Après le Meurtre de Roger Ackroyd (cf. la chronique que je lui ai consacré sur ce blog), Pierre Bayard s'attaque à un autre monument de l'oeuvre d'Afatha Christie à savoir Dix petits nègres.

Le résumé de la quatrième de couverture est laconique tout en annonçant la couleur :

Aucun lecteur sensé ne peut croire en la solution invraisemblable proposée à la fin du célèbre roman policier Dix petits nègres. En donnant la parole au véritable assassin, ce livre explique ce qui s'est réellement passé et pourquoi Agatha Christie s'est trompée.

Un sacré programme n'est-ce-pas ?

J'ai lu ce livre avec jubilation et il devrait être dans la bibliothèque de tout auteur de roman policier à énigme (le fameux whodunit). Il devrait plaire également aux lecteurs du roman à condition qu'ils aiment comprendre les mécanismes qui sous tendent toute oeuvre littéraire.

Pour apprécier pleinement le livre il convient d'avoir lu Dix petits nègres, si ce n'est pas fait il est temps de combler cette lacune. En effet, le livre de Pierre Bayard consiste en une relecture de-structurante du roman original. A quoi bon ? me demanderez vous. C'est certain que rechercher un nouveau criminel dans un classique de la littérature policière ne servirait pas à grand chose s'il ne s'agissait pas surtout d'exposer une réflexion sur la création littéraire.

Pierre Bayard nous expose les techniques utilisées par l'auteure pour égarer le lecteur, lesquelles s'apparentent à celles des prestidigitateurs. Il s'agit de détourner l'attention du lecteur en le fascinant pour lui éviter de voir les "trucs" du romancier. Agatha Christie était très efficace dans ce domaine, ce n'est pas un hasard si Poirot a un petit côté prestidigitateur qui sort le coupable de son chapeau à la fin du spectacle.

Dans ce livre, Pierre Bayard se livre également à une réflexion sur la notion de non dit dans une oeuvre littéraire et par extension à celle de personnage de roman. En l'occurrence le livre est sensé être écrit par l'un des personnages des Dix petits nègres, le véritable  coupable des dix crimes. Le personnage se rebelle en quelque sorte contre son créateur et change l'histoire en révélant les faiblesses su scénario original. Tous ceux qui écrivent ont eu à un moment l'impression que le récit leur échappait les entraînant dans des péripéties auxquelles ils n'avaient pas initialement pensé. C'est là aussi une illusion, mais la réflexion de Pierre Bayard est très intéressante et enrichissante pour qui veut se pencher sur le récit romanesque en profondeur.

Le dénouement qu'il propose est encore plus crédible que ce lui de son livre sur Le meurtre de Roger Ackroyd, même s'il serait possible d'écrire un troisième bouquin mettant en exergue les faiblesses de la solution proposée par Pierre Bayard.

Au-delà de la mise en relief des faiblesses de l'intrigue initiale, ce qui est fascinant c'est que les lecteurs se laissent toujours prendre par le roman d'Agatha Christie. N'oublions pas qu'il s'agit là d'une oeuvre littéraire qui ne peut s'apprécier qu'au niveau de la "mécanique". Tout le talent de la romancière est là, nous bluffer en nous entraînant là où elle veut nous mener en nous captivant au sens fort du terme. Nous, lecteurs, sommes une des pièces de l'intrigue que nous recréons à chaque lecture et Agatha Christie sait parfaitement comment nous conduire au terme, par elle, choisi.